Précieuses rencontres
J’aimerais vous présenter plusieurs enfants, que j’ai eu la joie de rencontrer.
Ces enfants ont un point commun : ils ont tous été identifiés comme étant des enfants à haut potentiel intellectuel.
Si leur profil cognitif leur promettait une grande faculté d’apprentissage, leur parcours scolaire n’a pas toujours été facile.
Certains ont rencontré des difficultés scolaires, d’autres ont présenté des troubles sévères des apprentissages. Certains en sont arrivés à rejeter l’école, jusqu’à présenter une dépression et une phobie scolaire.
A leurs difficultés scolaires se sont parfois ajoutées des difficultés comportementales (opposition, crises incontrôlables), relationnelles (difficultés d’intégration, incompréhension) ou émotionnelles (hypersensibilité, colères).
Des difficultés attentionnelles ont été rapportées pour l’ensemble ces enfants (objectivées ou non).
Portrait 1
N. a 11 ans. Il aimerait être président de la République. Il s’exprime bien, son raisonnement est construit, il est passionné de foot, curieux d’esprit…
A l’oral, il excelle. C’est le passage à l’écrit qui pose problème : son écriture est illisible, son handicap est visible et remonte à la surface à chaque fois qu’on lui demande d’écrire en classe. Dès les premières lettres, son poignet se crispe, son esprit se fige. Les larmes coulent. Alors…il se sent nul. Lorsqu’il craque, il me répète en sanglotant, qu’il est « nul ». Il est pourtant si bon : en vocabulaire, en syntaxe, en culture générale, en mémorisation. Je m’attache à l’encourager, de toutes mes forces, de tout mon cœur. Je lui répète que je vois son cœur, là où d’autres voient sa colère. Je lui répète que je vois son potentiel, là où d’autres voient ses notes. Je lui répète qu’il est précieux, là où d’autres ne savent pas l’apprécier. Quand le regard porté sur un enfant est changé, c’est son avenir tout entier qui peut être changé. Quand les paroles valorisantes sont déposées sur le cœur d’un enfant, c’est toute sa trajectoire qui peut changer.
Portrait 2
U. a 17 ans. Il pourrait vous parler de politique pendant des heures. Son analyse est fine, pertinente, percutante. Son raisonnement est intuitif.
Mais voilà, ses difficultés en mathématiques sont si sévères qu’il ne peut pas faire de calculs élémentaires. Quand on lui parle de quantités, il ne peut rien imaginer, il ne voit rien. Cela ressemble à une cécité.
Alors… lorsqu’il se sent en difficulté, il s’évade, se réfugie, dans sa tête. Son regard se fige. Il ne dit plus rien. Lorsque je l’appelle, j’ai l’impression de le sortir d’un rêve. Ou plutôt d’un cauchemar. Très vite, il se remobilise, comme pour me faire plaisir. Un jour, il me dit : « Je me demande bien où j’étais pendant que tous les autres apprenaient tout cela, à l’école primaire ». A travers cette phrase, j’entends sa souffrance. Il est lucide, conscient de ses difficultés. A travers ses mots, j’entends son désir de progresser. Il aimerait tellement comprendre : pourquoi ce décalage entre certains domaines de compétences, pourquoi tant d’incompréhension de la part de son entourage. Il trouve cela injuste. Je lui explique qu’il est au bon endroit et qu’ensemble, nous allons cheminer. Nous allons unir nos forces pour que les autres comprennent ses besoins et puissent prendre soin de lui, avec justesse, avec justice. Je lui dis que je crois en lui, en sa capacité à gravir cette montagne et que surtout, il n’est pas seul. Il ne sera plus jamais seul.
Portrait 3
F. a 6 ans. Son année de CP s’est très mal passée. Il déteste la maîtresse, la lecture, l’écriture.
En fait, il déteste l’école. Il n’arrive pas à se concentrer, il est agité, parfois opposant. Il se fait punir, priver de récréation. Ses parents essaient de le comprendre, de le soutenir, de sévir. Mais parfois ils se retrouvent démunis face au comportement difficile d’E.
Le diagnostic est posé : E. est HP et présente un TDAH*. Un TOP** est évoqué. Alors tout devient plus clair.
E. ne fait pas exprès. Il n’est pas mal élevé. Il n’est pas insolent. Il a besoin d’attention, de soutien et de prise en charge. Depuis, tout s’est amélioré. E. est devenu un élève épanoui et un enfant…au TOP.
*Trouble déficit de l’attention avec hyperactivité
**Trouble Oppositionnel avec Provocation
Portrait 4
B. a 8 ans. Elle devrait rentrer au CE2, mais elle est déscolarisée. Elle ne peut plus mettre un pied à l’école depuis la rentrée de CP. Elle se débat, pleure, fait des crises d’angoisse. Sa phobie scolaire est envahissante. Elle veut se suicider. La situation est urgente.
La première chose que je vois, c’est son sourire, qui s’accroche au mien. Elle a besoin d’être rassurée. Elle m’observe, semble m’analyser, autant que je l’observe et l’analyse. Elle est très à l’aise à l’oral, me fait part de ses réflexions pertinentes, tout cela avec un grand sens de l’humour. Il s’agit d’une rencontre. D’une belle rencontre.
Les bilans objectivent un haut potentiel intellectuel et des troubles DYS*. Le diagnostic sonne comme un déclic.
A la rentrée, Angelina accepte finalement de retenter l’aventure de l’école. Il s’agit d’une école Montessori. Avec l’enseignante, B. a accroché. Elle adhère au mode d’apprentissage. Grâce aux manipulations, elle met du sens sur ce qu’elle apprend. Toutefois, elle reste fragile. Les journées sont longues, une anxiété de séparation persiste. Les larmes ne se font pas rares. Les relations avec ses pairs sont source d’incompréhension, de frustration. Toute confrontation à la difficulté ou la nouveauté peut entraîner un blocage. Elle manque de confiance en elle. Mais B. a repris le chemin des apprentissages et la confiance en elle, ce qui représente un grand pas pour elle.
*Troubles d’apprentissage (dyslexie-dysorthographie, dyscalculie)
Portrait 5
D. a 17 ans. Elle a réussi à dépasser ses difficultés en lecture, mais elle rencontre toujours des difficultés en orthographe. Ce qui la gêne par-dessus tout, ce sont ses difficultés de concentration. Le traitement médicamenteux l’aide bien, mais ne règle pas tout. Son cerveau va trop vite. Son mode de pensée « en arborescence » l’emmène loin, parfois plus loin que prévu ! Elle fait preuve d’une grande lucidité, d’une extra-lucidité. Son sens de l’intuition est aiguisé. Mais tout cela est anxiogène.
A l’écrit, les choses se compliquent. D. a du mal à organiser ses pensées, elle pense à tout en même temps, mais sa main ne peut écrire ce que son cerveau élabore si rapidement. Il y a un perpétuel décalage entre ce qu’elle arrive à écrire et ce qu’elle aimerait écrire. Cela la met hors d’elle ! Ses écrits ne sont pas le reflet de son potentiel. Elle voudrait rendre quelque chose de parfait. A chaque fois que cela ne lui convient pas, elle recommence. D. est perfectionniste. Cela aussi est anxiogène.
D. a finalement obtenu le bac avec la mention très bien, 18 en philo, sa plus grande fierté.
Aujourd’hui, elle est en quête de sens. Elle veut comprendre…comment fonctionne son cerveau ? Son projet professionnel en dit long sur sa vision et sur ses intentions : elle veut devenir psychologue et apporter son aide à tous ceux qui croiseront son chemin.
Portrait 6
O. a 10 ans et a d’excellents résultats scolaires. Elle est passionnée par l’orthographe. Elle connaît les règles sur le bout des doigts et prend un immense plaisir à les mettre en application. Lorsque nous rencontrons un nouveau mot (il est toujours question de rencontre), elle s’empresse de me demander si on peut l’écrire dans son répertoire.
Elle a commencé à écrire un roman lorsqu’elle s’est réconciliée avec l’écriture et l’orthographe. Maintenant, on ne l’arrête plus. Le stylo court sur le papier. Ses idées foisonnent, elle a une belle plume. Les fautes d’orthographe sont devenues rares.
Le secret de O. c’est qu’en CE2, elle a été diagnostiquée « dys », avec un déficit attentionnel. Mais à l’école, personne ne le sait. Sa famille connait bien les troubles DYS (ses frères présentent des troubles « dys » également) et a fait le nécessaire pour que la prise en charge commence le plus tôt possible.
Tout n’est pas rose. O. est hypersensible. Les disputes avec ses amies l’affectent profondément et durablement. En sport, elle n’est pas toujours à l’aise. Mais O. reste une jeune fille épanouie, car elle est consciente de son potentiel. Elle connaît ses points forts, ses axes de progression et a su franchir les obstacles avec un franc succès.
Conclusion
Ces enfants sont extraordinaires.
Ils ont vécu des moments difficiles et tout n’est pas encore résolu,
en raison du décalage entre leurs domaines d’excellence et leurs fragilités.
Aujourd’hui, ils ont compris comment ils fonctionnaient, cela fait leur force.
Leur entourage les comprend également,
ce qui leur permet de les aider, de les soutenir.
Chacun de ses enfants avance à son rythme, évolue, se transforme positivement.
A l’échelle de leur vie et de leurs épreuves, chaque pas est un pas de géant.
Pour leurs efforts, leur persévérance, leur courage,
j’éprouve une grande fierté et un sincère attachement à leur égard.
Je suis fière de leur parcours, fière ce qu’ils sont devenus et de ce qu’ils deviendront.
J’ai confiance en leur potentiel, en leurs ressources et en leur détermination.
Chacune de ces rencontres m’a beaucoup appris :
à leur propos, à propos de ma pratique et à mon propos.
Je n’aurais pas pu les accompagner, sans chercher à les comprendre, à les connaître,avec authenticité et humilité.
Mon intervention n’aurait pas eu de sens, sans la considération de leurs caractéristiques cognitives, langagières, relationnelles, émotionnelles…
Il y a tellement d’autres facettes de leur univers, qui ne pourraient être transcrites fidèlement, tant elles sont profondes et lumineuses.
Cette complexité fait la beauté et la richesse de leur personnalité.
Cette complexité explique également mon vif intérêt pour ce type d’accompagnement.
Les enjeux sont grands, le temps ne se rachète pas.
Pour tous ces enfants que l’on juge « trop intelligents » pour leur reconnaître de véritables difficultés d’apprentissage, j’ai décidé de me battre.
Pour tous ces enfants dont l’intelligence « devrait suffire » à compenser leurs troubles des apprentissages et qui n’ont donc pas besoin d’aide particulière, j’ai choisi de me battre.
Pour tous ces enfants qui ne trouvent pas leur place à l’école, auprès de leurs pairs, car ils se sentent trop différents. Je n’arrêterai jamais de me battre.
A tous ces enfants et à leurs familles,
Qui m’accordent leur confiance,
Acceptent notre collaboration avec enthousiasme et courage,
Et me donnent chaque jour de multiples raisons d’aimer mon métier.
MERCI.